Titre original: Kris och kommunisering

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Crise et Communisation

::Peter Ångstrom

La communisation n’est pas une expérimentation pacifique de nouvelles façons de vivre, mais la réponse révolutionnaire du prolétariat à une crise sociale aiguë. Ce texte présente quelques observations de ce lien à la lumière de la crise actuelle.

La lutte de classe entre prolétariat et capital est permanente et conditionne l’ensemble de nos vies. Dans la plupart des cas elle prend des formes relativement pacifiques, mais tout au long de l’histoire elle a donné naissance à de nombreux mouvements révolutionnaires qui ont menacé l’existence du mode de production. Ces mouvements ont toujours commencé par un refus des insoutenables conditions de vie prolétariennes, mais ce n’est pas parce qu’une exploitation « excessive » remet en cause régulièrement le capitalisme. C’est souvent un traitement « trop coulant » de la classe ouvrière qui est la cause immédiate de l’agitation sociale. On peut prendre comme exemple la Grèce, où on a du, en définitive, remédier aux très mauvaises finances publiques (dues, selon les représentants de la bourgeoisie, aux conditions trop avantageuses accordées à plusieurs groupes de travailleurs) en saignant la classe ouvrière. L’exploitation et la production de plus-value sont deux face de la même pièce et puisque le rapport capitaliste vit de la production de plus-value, c’est-à-dire de l’exploitation des travailleurs, la contradiction de classe appartient nécessairement à son essence la plus fondamentale. Il ne peut jamais s’échapper de cette contradiction, peu importe à quel point le mode de production parvient à muter. Par conséquent, la menace que ce rapport puisse imploser est là, tapie derrière chaque crise sévère.

Des crises sérieuses (telle que celle que nous connaissons depuis 2008) surviennent dans des situations où la classe capitaliste ne parvient pas à s’assurer une production de plus-value suffisamment élevée (ce qui en jargon bourgeois est appelé combinaison de la croissance avec les considérations sociales). La définition la plus abstraite d’une crise du mode de production capitaliste est que sa reproduction est menacée, c’est-à-dire la reproduction continue des classes antagonistes. C’est au niveau concret, pourtant, qu’on peut voir la crise se dérouler devant nos yeux : banques et entreprises menacées de faillite et travailleurs perdant leurs emplois, expulsés de chez eux ou soumis à des baisses de salaire, des retraites diminuées, une prise en charge médicale moindre, etc. Lorsque des capitaux individuels ou des groupes de prolétaires se retrouvent dans une mauvaise passe, l’État peut intervenir pour prévenir une urgence, en renflouant des entreprises ou en versant quelque suppléments à des municipalités et maintenir de la sorte un certain niveau de prestations. Mais ce ne sont jamais des remèdes miracles. Dans de tels cas, l’État s’endette lui-même et tôt ou tard le budget doit être rééquilibré, ce qui implique qu’en fin de compte c’est le prolétariat qui doit payer. La seule bonté que la classe capitaliste ait à offrir aux prolétaires d’un pays en crise est une sorte d’échéancier (une hypothèque sur une exploitation future), ou de laisser les prolétaires d’un autre pays payer une partie de la facture. La façon dont on a demandé à l’Islande de compenser les pertes britanniques et hollandaises liées à la faillite d’Icesave est un exemple du premier cas : 2.8 milliards d’euros plus les intérêts sur une période de trente ans. Un exemple du second est la vigoureuse pression du gouvernement suédois dans l’UE et le FMI en 2009 pour empêcher une dévaluation de la monnaie lettone, qui aurait eu un effet dévastateur sur les banques suédoises qui avaient prêté des sommes colossales aux pays baltes. Les plans d’austérité brutaux de ces derniers furent probablement complètement nécessaires pour sauver le système bancaire suédois de l’effondrement, ce qui explique les exigences extrêmement dures de la Suède et de l’UE . Des mesures drastiques, tels que des prêts d’urgence à l’industrie automobile ou des nationalisations de compagnies hypothécaires ne résolvent toutefois pas le problème sous-jacent derrière la crise, qui est une crise d’investissement ou plutôt une crise d’accumulation, c’est-à-dire une crise de l’exploitation . L’ordre exige que l’exploitation soit accrue.

À l’automne 2008, nous avons été témoins de la façon dont les états capitalistes se coordonnent à l’échelle mondiale (de Washington à Pékin, de Francfort à Stockholm) pour faire face à la crise financière, mais ils sont toujours bien loin de maitriser la situation. Nous sommes passés d’une situation où les banques étaient au bord de la faillite à une autre dans laquelle des pays entiers sont menacés de cessation de paiement. La crise de la dette publique n’est pas encore terminée et si la situation s’aggrave — par exemple en conséquence des nouvelles luttes en Espagne ou dans d’autres pays endettés, ou suite à la hausse des prix du pétrole — cela pourrait très bien produire un effet domino comme celui auquel ont été confrontées les banques à l’automne 2008 et début 2009. La communauté internationale maintient déjà un certain nombre de pays à flot (Islande, Lituanie, Grèce, Hongrie, Ukraine, Irlande, Portugal, etc.) et la question est : combien d’autres peut-elle soutenir ?

La force de la classe capitaliste est — à part la contrainte économique — ses appareils d’État et sa capacité à travailler de concert pour sauver le système capitaliste mondial. Ce nouvel esprit de solidarité de classe dans la classe capitaliste prend sa source dans les chaines de production mondiales et dans la dépendance de tous les pays à un marché mondial fonctionnel. Mais en même temps, c’est sa faiblesse, parce qu’une crise locale peut aujourd’hui, plus vite que jamais, envoyer une onde de choc à travers tout le système nerveux capitaliste.

Une crise mondiale de l’exploitation ne conduit pas automatiquement à la révolution, bien que la révolution soit impensable sans une telle crise. En même temps, une révolution communiste aujourd’hui est l’une des choses les plus difficiles et des plus dangereuses qu’on puisse imaginer, en ce qu’elle signifierait un affrontement avec tous les appareils d’État du monde. Les autres options doivent être donc particulièrement sinistres pour qu’elle soit, finalement, réalité. Faire la révolution n’est pas se sacrifier pour un idéal mais tenter de parvenir à une solution pour des besoins immédiats urgents.

Riff-raff fait partie du courant de la communisation. Nous affirmons que la seule perspective révolutionnaire aujourd’hui est la communisation, que la révolution communiste d’aujourd’hui doit nécessairement prendre la forme de la communisation. Comme pratique révolutionnaire, cela se caractérise la prise en charge immédiate par le prolétariat, au cours de sa lutte avec le capital, de la tâche d’abolir ses propres conditions d’existence, c’est-à-dire tout ce qui le définit comme classe : la propriété, l’échange, le travail, l’État, etc. Une telle révolution ne passe ni par la conquête du pouvoir politique, ni par l’appropriation des moyens de production, pas même comme étape nécessaire. Au contraire, le processus révolutionnaire est caractérisé par ce processus dans lequel la politique et l’économie, la forme valeur comme médiation sociale entre les individus, sont abolie et remplacée par le communisme. Le prolétariat ne se hisse donc pas au rang de classe dominante, mais s’abolit avec toutes les classes au cours de sa lutte contre le capital. La communisation ne tombe pas du ciel, pas plus qu’elle ne « vient du futur » : elle est saut qualitatif et rupture avec la forme de lutte de classe qui existe quotidiennement (luttes sur les salaires, conditions de travail, etc.). Elle survient au moment où les prolétaires sont contraints de prendre des mesures communistes contre l’ennemi de classe : des méthodes par lesquelles le capital peut être détruit.

À la moitié du XIXe siècle, Marx et Engels définissait le communisme de la façon suivante : « Pour nous, le communisme n’est pas un état de choses qu’il convient d’établir, un idéal auquel la réalité devra se conformer. Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l’état actuel des choses. Les conditions de ce mouvement résultent des données préalables telles qu’elles existent actuellement. » (L’idéologie allemande, 1845) Le communisme comme mouvement réel, cela ne peut pas être interprété pour dire qu’on peut assister ici et maintenant au communisme comme rapports communistes existants. De tels rapports sont complètement incompatibles avec la société capitaliste. Le communisme comme mouvement réel implique au contraire qu’il peut être déduit des « données préalables telles qu’elles existent actuellement », de la lutte de classe réellement existante. Et puisque la lutte de classe a changé — de fait le monde entier a changé — la perspective révolutionnaire doit nécessairement apparaître différemment aujourd’hui. Nous devons nous demander honnêtement quelle sorte de révolution peut être envisagée à partir de ce qu’est le monde actuel.

Il est toujours hasardeux de parler du futur, mais les risques sont moindres quand on discute du futur proche. Esquissons donc le scénario suivant : la crise s’est accrue et d’énormes valeurs de capital ont été perdues. La classe capitaliste doit à tout prix accroitre l’exploitation afin de redémarrer l’accumulation. Le prolétariat résiste et après quelque temps une situation émerge, quelque part, où aucune des deux classes ne peut prendre le dessus, ce qui conduit à d’énormes perturbations sociales. La perte de salaire due aux grèves et au chômage, de pair avec une crise monétaire créé alors un besoin aigu de toutes sortes de fonds, alors que personne ne peut plus les financer. Le mouvement entre alors dans une nouvelle phase, dans laquelle les prolétaires cessent de payer les loyers, l’électricité, l’eau, etc. et commencent à piller des entrepôts, occuper des terres agricoles, etc. en bref, ils commencent à prendre ce dont ils ont besoin. À ce moment-là, ces « hors-jeu » aux droits de propriété ne sont pas l’appropriation des moyens de production et d’existence : ils ne sont pas transmis aux travailleurs pour devenir leur propriété. Au lieu de cela, ils cessent d’être propriété — ils sont communisés. Dans la lutte contre le capital, les prolétaires se renforcent et s’unissent en se rendant indépendants de travail en échange de l’argent : l’unité de classe apparaît ainsi dans le procès de dissolution des classes — dans la communisation. S’abolir concrètement comme prolétaires sera la chose la plus difficile du monde, mais en même temps, l’arme ultime de la lutte de classe. Par ses mesures communisatrices le prolétariat combat efficacement l’ennemi de classe en détruisant toutes les conditions qui recréent constamment le prolétariat comme classe. Finalement, le prolétariat ne peut que répliquer au capital en se niant comme valeur créant les classes et simultanément — dans un seul et même procès — en produisant des vies complètement nouvelles qui sont incompatibles avec la reproduction du capital.

Puisque le procès de communisation est caractérisé par l’abolition de toutes les classes sociales, y compris le prolétariat, il conduit — s’il est mené à son terme — à la fin de la lutte de classe. Ce serait une grossière erreur, pourtant, d’imaginer ce processus comme une diminution progressive de l’antagonisme de classe, de pair avec des rapports communistes évinçant les rapports capitalistes. La communisation est rupture avec la lutte de classe quotidienne en ce qu’elle n’est plus défense du travail. Pour autant, elle est du début à la fin pratique de classe. (Pour avoir lutter pour exister on lutte alors pour ne plus avoir à exister) La communisation n’est donc pas un mode de vie alternatif ; elle ne sera pas une expérience sociale d’individus libres. La communisation est totalement non un libre choix, mais encore une fois un besoin immédiat dans une situation donnée, une tâche que les prolétaires s’imposent, contraints par les conditions matérielles, quand leur situation est devenue insupportable et incompatible avec l’accumulation du capital. C’est seulement la lutte avec le capital qui peut conduire le prolétariat au point où il est forcé de détruire l’État, d’abolir le capital et lui-même, afin d’échapper à sa situation. La communisation ne doit donc pas être vue comme une stratégie ou une méthode qu’on peut choisir parmi une pléthore d’autres, comme si le prolétariat avait l’embarras du choix au banquet des solutions révolutionnaires. Quand nous parlons de révolution, c’est au contraire comme nécessité matérielle, et l’objet de la théorie est de définir cette nécessité : les conditions de l’abolition du mode de production capitaliste. Seule une analyse du rapport contradictoire existant, des conditions de sa reproduction et de sa non-reproduction, tout comme une analyse prudente et détaillée des luttes de classe « empiriques » auxquelles nous assistons et prenons part aujourd’hui, peuvent contribuer à ce que cela ne soit pas qu’un vœu pieux et pure spéculation.

Il y a ceux qui affirment que le communisme est maintenant nécessaire : « Attendre encore est une folie. La catastrophe n’est pas ce qui vient, mais ce qui est là. Nous nous situons d’ores et déjà dans le mouvement d’effondrement d’une civilisation. C’est là qu’il faut prendre parti. » On peut lire ça dans L’insurrection qui vient, un livre qui a attiré pas mal d’attention récemment. Ce n’est toutefois pas de la théorie, mais de la rhétorique et de la propagande. C’est un appel à l’action, tout comme le livre précédent L’Appel. Ce qui est supposé ici (sinon explicitement), c’est que les conditions de la révolution sont prêtes, ou plutôt mures, et qu’à présent seule une condition objective est requise pour détruire « un régime social à l'agonie [qui n’a] plus d'autre justification à son arbitraire que son absurde détermination − sa détermination sénile − à simplement durer » (L’Appel, p. 4) Nous ne concevons pas la révolution comme coïncidence de conditions objectives et subjectives. La révolution, la communisation, n’est pas en fait une nécessité ici et maintenant, parce que nous ne pouvons toujours pas la voir. Mais cela ne signifie pas qu’elle ne peut pas être nécessaire demain ! Il est facile de s’impatienter quand on voit vers quoi le monde se dirige et on peut tous se sentir coincés dans un « déterminisme absurde ». La loi de détermination est pourtant sans appel : on ne peut jamais agir d’une façon qui nous rende indépendants de ce déterminisme. Mais comme partie de ce déterminisme, comme nécessairement déterminés par l’antagonisme de classe, nous pouvons agir en accord avec ce que nous sommes — contre ce que nous avons été — et comme classe abolissant les classes, quand nous serions un jour conduit à faire face à cette terrible tâche.

Mars 2011